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BIBLIOGRAPHIE COMMENTEE :
Christian Ranucci : jusqu'au 28 juillet 1976, Hachette,
1980. (Page 1 sur 2)Publié chez
Hachette Littérature en 1980 sous le titre Ecrits d’un
condamné.
Le livre est composé d’un cahier écrit par Christian en
mai 1976, soit un mois avant le rejet du pourvoi en cassation,
d’une longueur de soixante-dix pages environ, relatant sa version
des événements qui lui ont valu d’être condamné, de la
correspondance entre Christian et sa mère échangée entre le 18
juin 1974 et le 25 juillet 1976. Des extraits d’un texte écrit
par Héloïse Mathon après l’exécution de son fils sont placés
en outre à la fin de l’ouvrage (mais ne seront pas développés
ici).
A°) Le cahier de
Christian :
Cette partie de l’ouvrage est intéressante à plusieurs points de
vue. D’abord, elle restitue la chronologie des événements à
partir du point de vue de Christian (en cela, elle constitue
un document relativement unique dans l’affaire, même si quelques
morceaux du cahier sont repris par Gilles Perrault). Si le texte
de Christian n’apporte pas à proprement parler d’ « élément
nouveau » sur l’affaire, il a le mérite d’explorer les faits,
et uniquement les faits (une qualité non négligeable quand on
sait comment a été jugé Christian) en soulevant tout au plus
quelques hypothèses intéressantes sur ce qui a réellement pu se
passer. Le texte se présente sous la forme d’une démonstration
argumentée de l’innocence de Christian, qui montre comment il
a été victime, selon ses propres mots, d’une « machination ».
La présence de Christian à Marseille, la veille de l’accident
(le dimanche 2 juin 1974), est tout d’abord réaffirmée. Christian
arrive à Salernes entre 17 et 18 heures, mais n’y trouve pas le
calme escompté. Il décide donc de repartir, vers 20h en direction
d’Aix-en-Provence, où il arrive en fin de soirée. Il y effectue
une halte afin de laisser refroidir le moteur de sa voiture, et
repart vers Marseille environ une heure après (soit 22 ou 23
heures). Il passera sa soirée à traîner dans les bars du quartier
de l’Opéra. « J’ai bu ce soir-là ce qu’un français moyen boit en
trois ou quatre jours » résume Christian avant d’affirmer qu’il a
« veillé toute la nuit de dimanche ».
Le lundi 3 juin 1974, au matin, Christian décide de boire dans un
café deux whiskies, deux jus de pamplemousse et deux cafés afin de
s’éclaircir l’esprit « un peu nébuleux ». Il hésite à s’arrêter
dormir, dans une auberge, puis décide de rentrer : c’est en fin de
matinée que l’accident du carrefour de La Pomme survient. Pour
Christian, la commotion due au choc ajoutée aux consommations
d’alcool de la veille et du matin sera responsable de son
évanouissement, qui a lieu peu après l’accident. Il se souvient du
fait que les Aubert, toujours aussi précis, situeront plus tard
l’accident à trois heures différentes (10h30, puis 12h15 et enfin
13h30). Il confirme la rencontre avec les Rahou, M.Guazzone, la
soirée et le lendemain « normaux », passés au travail et devant la
télé.
Arrive le récit du 5 juin. Après une journée passée au
travail, vers 18h, Christian rentre chez lui. Il y trouve deux
gendarmes qui le conduisent à la gendarmerie la plus proche. A cet
instant, il dit « ne plus penser » à l’accident, hormis au fait
qu’il va devoir faire changer son aile. Les gendarmes le
questionnent sur les circonstances de l’accident, puis le
conduisent au commissariat Gioffredo de Nice. On lui passe des
menottes et très vite, vers 20 heures, il est conduit vers
Marseille, entouré des gendarmes et du commissaire Alessandra, où
il arrive deux heures plus tard environ. Christian est alors placé
dans une salle, où dévisagé par cinq ou six gendarmes assez jeunes
qui ne lui font aucun commentaire, il doit patienter 30 minutes
pour voir Alessandra arriver. Il est de nouveau conduit dans une
autre pièce, interrogé sur l’accident avec selon ses mots, une
« amabilité très relative ». Les surprises commencent alors. « Ce
matin-là, dit Alessandra, vous aviez dans votre voiture une enfant
de 8 ans que vous aviez enlevée à Marseille, non ? ». Christian,
ahuri, nie l’accusation lancée par le commissaire et reçoit une
gifle du commissaire, puis plusieurs, tenu par trois inspecteurs
(il dit aussi avoir reçu des coups de matraque). Tout en frappant
Ranucci, Alessandra explique à Christian sa version des faits.
« Je commençai à perdre pied, explique Christian. Toutes mes
dénégations ; mes explications, l’assurance que je donnais qu’il
faisait erreur, rien n’y fît (…). Cette nuit et cette matinée
d’interrogatoire furent très longues. A peu de choses près, les
mêmes phrases, les mêmes sévices se répétaient. » Christian
affirme ensuite avoir été victime du « matraquage vietcong » mais
aussi de « l’acide ». Et ajoute : « si je parle de ces pratiques,
ce n’est nullement par souci de me plaindre. (…) Je n’en parle que
par souci de vérité ».
Sur la question des aveux, Christian explique en somme ce
qu’il dira tout au long du procès. Il invoque trois raisons : «
un traquenard diaboliquement monté, mes nerfs fragiles et mon
incommensurable naïveté ». En ajoutant que la confrontation avec
les époux Aubert (qui ne l’ont, faut-il le préciser, pas reconnu
du premier coup) l’a particulièrement choqué.
Alessandra lui présente alors, « sans insister » selon Christian,
un pull-over rouge qu’il déclare ne pas posséder. Les deux ou
trois semaines suivantes sont décrites comme un moment
d’« abrutissement » pour Christian qui reste prostré dans une
« cellule spéciale sans eau, sans air ni lumière ».
A cet instant du récit, Christian fait le bilan sur cette
période de trouble.
« Si j’avais réagi, si j’avais cherché à comprendre, si
j’avais pu connaître dès ce moment les éléments de l’affaire que
l’on m’avait cachée, escamotée, j’aurais pu éviter que le
traquenard ne se referme totalement sur moi » précise Christian.
« Seulement voilà, ajoute t-il, je n’ai réagi que peu à peu, à
mesure que j’appris la vérité ».
Le déclic ? « Le premier détonateur fut le pull-over rouge »
affirme Christian. « Il y eut aussi le couteau (…). Je n’ai jamais
possédé ni désiré posséder de telles armes ». « J’ai aussi pensé
aux traces de piqûres que j’avais sur les mains. (…) Quand j’ai
voulu sortir de la voiture du tunnel où elle se trouvait bloquée,
j’ai employé toutes sortes de branchages » précise Christian. Il y
eut aussi le cas des faux magistrats. Quatre jeunes
personnes se présentant comme magistrats interrogèrent Christian
peu avant la reconstitution. Il vit qu’un des quatre personnages,
puis tous les autres étaient armés. « Ils étaient venus vérifier
si je n’avais pas décelé le traquenard, bref si j’étais toujours
dans le cirage, ce qui faciliterait la reconstitution ». Enfin, il
y eut la découverte du cambriolage du garage le 6 juin.
Vient ensuite la reconstitution. « Nous sommes passés sur
les lieux de l’enlèvement sans même nous arrêter, rue St Albe, à
St Agnès » raconte Christian.
Sur l’accident, Christian est très explicite. « Le juge
d’instruction fit comme si ma voiture coupé Peugeot 304 s’était
arrêté à cet endroit, comme si, habillé d’une chemise blanche et
non d’un polo blanc à manche courte, j’étais descendu par la
portière conducteur qui avait été bloquée par l’accident ; que
j’en eus fais le tour par l’avant, ouvert la portière avant droit
et tiré à l’extérieur un enfant ». C’est à cet instant, sur le
terrain, que Christian constate combien il était « impensable,
irréalisable » qu’il soit le meurtrier. « Le vrai que j’avais
pris pour le faux est vrai et le faux que j’avais pris pour le
vrai est faux. Mais il me restait à le prouver ».
Ranucci évoque ensuite les témoignages des Rahou, Guazzone
et Spinelli.
« Un individu qui aurait eu quoi que ce soit à se reprocher, à
plus forte raison un crime aussi odieux que celui-là ne serait pas
entré dans une propriété privée, ni venu embourber son véhicule
dans un tunnel boueux pour ensuite venir se montrer tranquillement
devant plusieurs témoins(…) ni boire le thé avec eux en
bavardant ».Spinelli avait par ailleurs déclaré que l’homme qui a
enlevé la petite fille devait avoir dans les 35 ans, avait les
cheveux noirs et plutôt courts et qu’il ne portait pas de
lunettes.
« Ce seul témoignage rend absurde le simple doute que l’on pouvait
avoir de mon innocence ».
Les pages suivantes sont dédiées à l’évocation des deux
réponses concernant la publication de la photo de Christian
dans la presse régionale (Mme Marthe et M. Pappalardo). « Le juge
Di Marino s’est cramponné à ces sottises, et elles sont encore
dans le dossier » précise Christian. La rencontre de Mme Mattéi et
le témoignage de Mme Baracco achèvent de convaincre Christian
de son innocence. Méticuleusement, Christian fait le bilan des
témoignages relatifs à l’homme au pull-over rouge. « a) Ce
maniaque rôde toujours dans les mêmes quartiers ; b) Il connaît
parfaitement les cités et les raccourcis. Or, il existe un
raccourci menant de la rue d’Albe, où fut enlevée Maria Dolorès.
Et ce passage, il l’a déjà emprunté ». Et Christian de
conclure : « L’homme enleva Maria Dolorès à 11 heures moins le
quart. Le meurtre eut lieu à 12h30. Ils se sont tranquillement
promenés au moins une heure, alors que c’était l’heure du repas.
Et comme ils le firent remarquer quand l’enfant posa la
question ‘Où va t-on ? ‘, il n’y avait aucune crainte. Il ne
serait pas étonnant que l’enfant et le ravisseur se
connaissaient ».
Christian ne doute plus de son innocence. A partir de cet instant,
les questions qu’il se pose concerneront toujours le pourquoi
de son inculpation et son maintien en prison ».
Par exemple, en évoquant l’attitude du commissaire Alessandra :
« Comment n’a-t-il pas fait le rapprochement entre le ravisseur
(signalement + phrase chien noir + Simca 1100) et les plaintes
pour tentative d’enlèvement le lendemain du rapt ? (…) Le
commissaire Alessandra savait que j’étais innocent ». Christian
détaille l’emploi du temps d’Alessandra entre le 3 et le 5 juin
(jour de l’enlèvement). « Le commissaire dispose de deux pistes :
l’une, précise, sûre, corroborée par plusieurs témoins, celle de
l’homme au pull-over rouge, celui qu’il vient de retrouver ;
l’autre piste qui part de l’erreur d’appréciation dont ont été
victimes les époux Aubert et peut permettre de faire peser des
soupçons sur le chauffeur d’une 304 grise qui a commis un délit de
fuite au stop, et, surtout, que ce dernier s’est
retrouvé mystérieusement bloqué dans un tunnel, proche du lieu où
fut découvert le corps (…) A aucun moment des recherches ont été
entreprises pour retrouver l’homme au pull-over rouge ( sauf une
très discrète tentative [ aux obsèques de Marie Dolorès, en
demandant l’aide de Mme Mattéi] ) ».
Vers la fin de son cahier, Christian utilise deux hypothèses
pour déterminer ce qui s’est réellement passé le 3 juin.
1°) A 12h 30, soit plus d’une heure et demie après le rapt,
l’homme et Maria Dolorès marchent sur le bord de la route
(peut-être après une panne d’essence de la Simca du ravisseur). A
ce moment, un automobiliste commet une faute à un stop (…) et se
sentant en faute, arrive dans leur direction, poursuivi par une
voiture (celle des Aubert). La voiture s’arrête brusquement à leur
proximité (rappelons que la commotion plus l’état de fatigue lié
à la nuit passée à Marseille ont pu provoquer son évanouissement).
Le ravisseur prend peur et tire l’enfant dans les fourrés. C’est
ce que voient les Aubert : croyant s’adresser à l’automobiliste
poursuivi, M.Aubert s’adresse au meurtrier qui lui
répond « J’arrive ». Le meurtrier ne reviendra pas. Quant il voit
la voiture des Aubert repartir, il ressort des fourrés et profite
de l’évanouissement de Christian, qu’il pousse sur la banquette
arrière, pour prendre le volant et cacher la voiture dans un petit
chemin (bien caché selon Christian, donc connu du ravisseur).
L’homme brouille alors les pistes : il jette le pull-over rouge et
l’arme, prend le portefeuille de Christian (à son retour, ce
dernier constate qu’il lui manque de l’argent) et prend de
l’essence dans le jerricane de secours de Christian, avant de
repartir.
2°) Vers 12h15, le maniaque revient sur Marseille par la RN8 bis
et arrête sa Simca sur le bord de la route. Après l’accident, les
Aubert partent à la poursuite du responsable de l’accident avec
les Martinez, qui doit avoir une centaine de mètres d’avance. Les
Aubert gagnent du terrain et arrivent à relever le numéro
d’immatriculation de la voiture en fuite, puis reperdent la
voiture de vue (cela ressort des dépositions des Aubert). Au
sortir d’un virage, ils voient un véhicule gris arrêté sur le bord
de la route (en fait celui de l’Homme au pull-over rouge) et
constatent que l’Homme emmène l’enfant dans les fourrés. Les
Aubert repartent car ils ont le numéro d’immatriculation et jugent
l’homme « peu intéressant ». Le ravisseur repart et voit 500 ou
600 mètres plus loin la voiture de Christian endommagée. Il
profite de l’évanouissement de Christian pour prendre sa voiture
et l’engager sur un chemin boueux, avant de la mettre en marche
arrière près du tunnel (ce qui montre qu’il connaissait
certainement les lieux). Il jette le pull-over, l’arme et prend
l’argent avant de repartir.
Cette deuxième hypothèse est celle de la substitution de
véhicule. Cette thèse expliquerait pourquoi les Aubert ont vu
le ravisseur sortir coté conducteur, faire le tour de la voiture
avant d’emmener l’enfant dans les fourrés (car la portière de la
Simca 1100 n’était pas endommagée par un accident). Les Aubert
affirment de plus dans leur seconde déposition que le ravisseur
pouvait avoir une chemise aux manches relevées (alors que dans la
première déposition, ils ont vu quelqu’un avec une chemise. Or,
Christian portait un polo). Ce témoignage, précipité par le
commissaire Alessandra, serait, dans cette hypothèse, leur seul
mensonge. Pour Christian, « cette substitution s’explique par le
fait que l’arrière de la voiture grise qu’ils poursuivent (une 304
grise) ressemble parfaitement à l’arrière du véhicule qu’ils
virent ensuite arrêté sur le bord de la route ». De deux choses
l’une : ou les Aubert mentent (car Christian n’a pas pu sortir de
sa voiture par le coté conducteur) ou ils ont vu une Simca 1100.
Pour Christian, il ne fait aucun doute que les témoins
susceptibles de l’innocenter, notamment Mme Mattéi, ont subi
des pressions.
Un matin (Christian ne précise pas la date), Mme Mattéi reçoit la
visite d’un policier du commissariat de quartier, qui lui fait
savoir qu’elle est convoquée par le commissaire Mariani. Malade,
elle souhaite repousser la convocation. Le policier lui fait
savoir que si elle refuse, « on l’embarquera en fourgon ». En
compagnie d’une de ses amies (Yvonne X.), elle se rend au
commissariat de quartier (l’éditeur précise dans une note que la
matérialité de ces faits n’a jamais été établie). Le commissaire
lui affirme alors qu’elle n’a jamais été au commissariat pour
signaler les agissements d’un individu suspect, ce qu’elle dément
catégoriquement. Peu après, Alessandra la convoque à l’Evêché pour
lui dire la même chose. Mme Mattéi proteste car c’était bien
Alessandra qui avait enregistré sa déposition ( Christian rappelle
à juste titre qu’un journaliste de Nice Matin avait lui-même dans
un article cité le nom de Mme Mattéi, ce qui prouve qu ‘elle a
bien été entendue). Alessandra enregistra finalement une
déposition de Mattéi. Le 2 Octobre 1975, elle déposa devant un
huissier (Me Bourgarel). Le 14 Novembre 1975, le substitut du
procureur consentit à entendre Mme Mattéi. L’interrogatoire dura
quatre heures. « Le substitut avait épuisé toutes ses cartouches
et n’avait pas réussi à intimider le témoin (…) ni à dissimuler
des éléments » affirme Christian.
Ici manque une page du cahier de Christian.
Christian
termine son cahier par cette question : « Si l’on était prêt à
m’assassiner légalement pour cacher ce qu’il y a sous mon
innocence, et éviter, par la même occasion, un gigantesque
scandale qui engloutirait ceux qui se sont compromis pour
m’accabler ? ».
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